Tania Louis : "Arrêter la Recherche, n'est ni un échec ni une réorientation professionnelle"

 

TANIA LOUIS PHD
MEDIATRICE SCIENTIFIQUE

Quelques semaines après la sortie de son livre « La Folle Hisoire des Virus », Tania Louis nous accorde un entretien 
qui revient sur son parcours, la situation actuelle, ses projets et surtout sur sa passion et son métier : la vulgarisation scientifique.

 

Quel est ton parcours ?

Au départ je voulais devenir maître de conférences. C’est en réalisant ma thèse que j’ai changé d’avis, en découvrant l’état de la Recherche en France et en me rendant compte que je n’avais pas envie de m’expatrier. J’ai donc pris la décision de faire autre chose.

Je me retrouvais face à un dilemme : d’une part l’enseignement que j’ai pu découvrir et apprécier durant ma thèse, d’autre part la vulgarisation scientifique.

J’ai décidé de me lancer dans la vulgarisation, avec la possibilité de revenir vers l’enseignement dans le cas où cela ne fonctionnerait pas. Les débuts n’ont pas été faciles, je me suis retrouvée au chômage pendant plus d’un an après ma soutenance.

Mais depuis mon premier poste comme médiatrice à l’Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes à Paris, tout s’est plutôt très bien enchaîné, je fais de la vulgarisation depuis maintenant cinq ans et je ne regrette pas du tout mon choix.

 

Quel a été l’élément déclencheur ? Pourquoi as-tu choisi la médiation scientifique ?

J’aime beaucoup raconter que l’élément déclencheur c’est un jour où j’ai fait écraser des bananes à des élèves d’école primaire… parce que ça a l’air invraisemblable, mais c’est complètement ça !

J’étais allée donner un coup de main sur un atelier pour la Fête de la science, qui consistait à extraire de l’ADN de banane. Donc j’ai littéralement fait écraser des bananes à des élèves de primaire. Mais j’ai surtout découvert le côté humain et les échanges qui pouvaient avoir lieu dans un contexte d’ateliers de vulgarisation scientifique.
Je me suis rendue compte que je retrouvais là-dedans ce que j’aimais bien dans l’enseignement, c’est-à-dire le partage de connaissances, mais avec un émerveillement beaucoup plus grand de la part du public.

Après pas mal de bénévolat pendant ma thèse, entre autres pour la Fête de la Science, j’ai lancé un gros projet de vulgarisation lors de ma dernière année parce que j’avais déjà choisi de me consacrer à cela plutôt qu’à la recherche.

J’ai monté une pièce de théâtre avec une quinzaine de comédiens qui étaient tous issus du monde de la recherche. C’était une adaptation de La vie de Galilée de Bertolt Brecht, avec pour objectif de faire réfléchir le public au fonctionnement de la recherche. LIEN : https://tanialouis.fr/2020/10/11/entre-art-et-science-les-planches/

Enfin la dernière formation doctorale que j’ai suivie, un mois avant ma soutenance, portait sur la vulgarisation scientifique par les jeux de plateau. Le choix était déjà très nettement fait à l’époque.

 

Tu as été amenée à travailler dans des domaines très différents, comme auprès des enfants, dans le milieu scolaire ou dans des cafés, des Escape Game, du théâtre, sur YouTube ou encore à la radio. Comment appréhendes-tu des domaines d’expression aussi différents ? Et lequel préfères-tu ?

Je viens d’une famille d’artistes : mon père est auteur compositeur interprète, ma mère était danseuse et est désormais graphiste. Je fais du théâtre depuis une bonne quinzaine d’années maintenant et je joue aussi du piano, et un peu de violon. J’aime bien essayer des trucs.

Et puis, quand il y en a qui me plaisent, je continue à les faire et je pense que c’est un peu comme ça que j’ai conçu mon parcours de médiatrice !

Quand j’ai lancé ma chaîne YouTube, par exemple, je n’avais jamais fait de vidéo de ma vie. Je n’avais jamais parlé devant une caméra. Je n’avais jamais ouvert un logiciel de montage et j’ai testé, pour voir. Ce n’est pas un profil très surprenant pour quelqu’un qui fait de la vulgarisation (ou de la recherche) d’être curieuse et d’avoir envie d’apprendre. Le reste est un mélange d’envies personnelles et d’opportunités. La pièce de théâtre, par exemple, c’est quelque chose que j’ai imaginé et que je voulais faire. Et le reste, ce sont surtout des opportunités qui se sont matérialisées, où je me suis dit : « ah ça, j’ai envie d’essayer ! », comme l’Escape Game.

Et ce sont tous ces choix, ces opportunités et cette curiosité qui font que mon parcours est assez éclectique.

 

« La folle histoire des virus » vient de paraître aux éditions HumenSciences.
Peux-tu nous parler un peu plus de son contenu et de sa vocation ?

C’est un peu paradoxal de sortir ce livre maintenant car c’est un projet qui a été lancé en 2019 et vise plutôt à réhabiliter l’image des virus.

Ce livre, c’est la rencontre entre l’état d’esprit de la collection « Comment a-t-on su ? » et un projet que j’avais envie de porter depuis longtemps, qui est plus ou moins d’adapter en version vulgarisée l’introduction de mon manuscrit de thèse.

J’ai fait ma thèse sur le VIH donc j’ai rédigé la partie classique sur : qu’est-ce que c’est comme virus, comment on l’a découvert, comment fonctionne son cycle de réplication etc. Mais à l’époque, j’avais rajouté toute une partie sur ce que les virus nous ont permis de découvrir, dans pleins de domaines différents.

J’avais envie de parler des virus, mais au sens large et pas juste comme des entités qui nous rendent malade.

Ce livre retrace l’histoire de la compréhension de la notion de virus, ce que l’on sait et surtout tout ce qu’il nous reste encore à découvrir. Puisque finalement, nous n’avons encore étudié qu’une toute petite partie des virus.

En savoir plus sur La Folle Histoire Des Virus

 

Il y a un grand coup de projecteur sur la Recherche, et donc sur les médiateurs. Comment le vis-tu et qu’en penses-tu ?

Cette crise sanitaire met en évidence tous les problèmes qui existaient déjà : on n’en découvre aucun, mais on se rend compte de leur ampleur et à du point auquel ils peuvent devenir gênants quand la science commence à prendre beaucoup de place dans les sujets d’actualité.

On a en France une mauvaise culture scientifique en général, notamment car les sciences ont peu de place dans le tronc commun scolaire. Ce n’est donc pas évident pour les chercheurs d’être audibles quand ils s’expriment directement auprès d’un public non spécialiste, ce qui n’est pas leur métier. On a beaucoup vu ces derniers mois des chercheurs et des médecins prendre la parole dans les médias, avec plus ou moins de réussite. Il y en a qui font ça très bien, mais qui se retrouvent du coup très sollicités et très exposés.

En plus de ces experts qui se sont exprimés d’un côté, il y a des structures de culture scientifique qui ont produit du contenu de l’autre. Et toute une communauté de personnes qui conçoivent bénévolement des supports pédagogiques. J’avais monté, pendant le premier confinement, le collectif KezaCovid, dont l’objectif était justement de rassembler à la fois des gens qui avaient des compétences de recherche pour pouvoir récupérer des informations fiables et des gens qui avaient des compétences de vulgarisation pour produire des supports très accessibles. Mais ce type d’approches collaboratives reste encore trop rare aujourd’hui, chaque communauté à tendance à travailler dans son coin.

De plus je suis convaincue que pour traiter ce genre de sujets sensibles, il est plus efficace de pouvoir en parler en face à face. Et c’est là tout le paradoxe de cette crise : on se retrouve contraints à échanger en ligne, ce qui crispe les débats, alors qu’on aurait besoin d’échanges apaisés qui sont plus faciles à construire en discutant de vive voix.

 

Quels conseils donnerais-tu aux personnes qui voudraient se lancer dans la médiation ?

Le premier conseil, qui est à mon avis le plus important, c’est : réfléchissez bien à pourquoi vous avez envie de faire ce métier (et il y a plein de bonnes raisons) ! Moi, j’ai choisi la médiation parce que j’avais envie de contacts humains, de continuer à apprendre,  de continuer à partager, aussi. Mais si ce qui vous intéresse c’est une situation professionnelle stable et un bon salaire, ce n’est pas la bonne solution.

Si la médiation vous tente mais que vous avez du mal à vous représenter la réalité de ce métier, essayez ! Il existe pleins d’associations comme « Les Petits débrouillards » et « Planète Sciences », qui sont présentes à peu près partout en France, qui organisent des petites formations d’initiation à l’animation ou qui cherchent des bénévoles. Si vous n’êtes pas sûrs que la vulgarisation est faite pour vous, le mieux reste de tester et d’aller sur le terrain pour de voir si ça vous plaît ou pas.

Si ça vous plaît vraiment, les conseils vont malheureusement être un peu les mêmes que pour toutes les voies professionnelles. Le réseau est hyper important parce que parce que c’est un milieu où, globalement, tout le monde se connaît. Si vous êtes identifié comme quelqu’un de fiable et de compétent, votre vie professionnelle va être beaucoup plus simple.

Pour quelqu’un qui sort de doctorat, la question d’aller refaire un master peut se poser, notamment parce que ça aide à construire son réseau, mais aussi parce que ça permet de remettre un peu à plat les compétences… Et de se rendre compte aussi que vous en avez déjà beaucoup. Une bonne partie de mon travail consiste à faire de la bibliographie comme j’ai pu le faire en Recherche auparavant par exemple.

Globalement, rassurez-vous : vous avez déjà des compétences, vous êtes capable d’en acquérir de nouvelles et, de toutes façons, la médiation scientifique et la vulgarisation en général sont des pratiques très collectives.

La plupart des projets sur lesquels j’ai travaillé ont mobilisé une équipe de plusieurs personnes. Les compétences y sont mutualisées et on en sort tous en étant plus compétent que ce qu’on était au départ.

 

Un dernier mot ?

Arrêter la recherche après son doctorat, ce n’est pas un échec.

Personnellement, ça a été assez difficile à vivre pendant un moment, je pense que c’est le cas pour pas mal de docteurs qui ont choisi de faire autre chose que de la recherche. Il y a eu beaucoup de jugement de la part de mes collègues, beaucoup de réflexions, jusqu’à ma soutenance de thèse où on m’a dit que c’était un gâchis terrible d’aller faire autre chose. On m’a proposé des postdoc que j’ai refusés et les gens ne comprenaient pas pourquoi.

Je pense que c’est un message important de dire qu’aujourd’hui, statistiquement, la recherche n’est pas le débouché principal des docteurs. Donc, en fait, arrêter la recherche, non seulement ce n’est pas un échec, mais ce n’est même pas une réorientation professionnelle. Il ne faut pas se sentir coincé dans le milieu de la recherche juste parce qu’on a fait une thèse, une thèse permet de débloquer des compétences qui ouvrent plein de portes.

Enfin j’aimerais mettre en lumière un projet de vulgarisation qui s’appelle VirEvo. C’est une série de trois vidéos réalisées conjointement par un chercheur, un motion designer et moi, qui joue le rôle de médiatrice scientifique. On a vraiment travaillé main dans la main pour vulgariser l’épidémiologie moléculaire, un sujet malheureusement devenu d’actualité entre temps. J’espère que cet exemple de collaboration et de mutualisation des compétences sur un projet initié par un chercheur (et financé par la partie « outreach » de ses fonds) inspirera d’autres personnes !

 

Où est-ce qu’on peut te retrouver ?

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