Aurélie Jean PhD : "Embauchez un docteur, vous ne le regretterez pas !"

AURELIE JEAN PHD 
Docteure en sciences et entrepreneure – Fondatrice et dirigeante de In Silico Veritas

Dans le cadre de l’adaptation de son livre chez Livre de Poche De l’Autre Côté de la Machine, Aurélie Jean PhD nous parle de son parcours, de ses projets, des compétences des docteurs et offre de précieux conseils aux candidats. 

 

Q : Quels sont les facteurs qui t’ont motivé à faire de la Recherche et d’envisager de réaliser une thèse ?

AJ : J’ai su dès ma première année de Licence que je voulais faire une thèse de doctorat comme mes professeurs de mathématique et de physique qui m’ont énormément inspirée! Le doctorat est le seul diplôme reconnu à travers le monde sans aucune équivalence nécessaire, de plus je crois profondément à la formation par la recherche pour apprendre à réfléchir, à résoudre un problème ouvert et à construire sa résilience.

 

Q : Quelles sont les compétences que tu as développées durant ta thèse qui ont permis d’émanciper ta carrière par la suite ?

AJ : J’ai tout d’abord appris à faire de la recherche ce qui me permet encore aujourd’hui de conduire un petit programme avec des collaborateurs israéliens dans le domaine médical, mais aussi dans mon travail avec le professeur Mark Esposito d’Harvard et son équipe.

De manière pragmatique, la thèse m’a appris à conduire un projet, à résoudre un problème ouvert dont on ne sait pas si une solution existe, à forger ma confiance et ma résilience… et aussi à faire 10 choses à la fois! La thèse de doctorat t’impose à réfléchir et à agir dans différentes directions à la fois, c’est extrêmement stimulant intellectuellement. 

Je dis souvent que quand tu as soutenu une thèse de doctorat tu es un warrior car tu pourras tout faire dans la vie!

Aujourd’hui ma capacité à concrétiser des projets efficacement, à m’adapter systématiquement à mon environnement et à me surpasser me vient de ma formation, j’en suis persuadée.

 

Q : Comment as-tu appréhendé ta poursuite de carrière lors de ton doctorat ?

AJ : Je ne réfléchis jamais vraiment sur les moyen ou long termes, je fais les choses par choix motivé par une envie profonde de m’amuser et de prendre plaisir dans mon travail à court terme. J’ai bondi sur une opportunité en 2009 quand un professeur américain George Engelmayer, dirigeant un laboratoire médical à l’Université d’État de Pennsylvanie, me propose de développer des modèles mathématiques et numériques pour comprendre et améliorer la technique de régénération du muscle cardiaque en laboratoire. Je n’avais aucun background en médecine mais je trouvais l’idée excitante! Nous sommes en 2009, c’est la crise partout dans le monde et en particulier aux USA, j’ai mis 6 mois à trouver un poste mais la patience a payé.

 

Q : Le recours aux intelligences artificielles et aux algorithmes dans le recrutement est un sujet qui revient de plus en plus au centre de l’attention et qui divise (48 %  des recruteurs craignent une uniformisation des candidats selon les critères définis par les algorithmes alors que 52 % y voient plutôt une objectivité totale). Tu avais déclaré que le code va tendre à se démocratiser dans tous les domaines d’activité. Quel est le plus grand cap à passer aujourd’hui pour ces technologies émergentes dans des domaines centrés sur l’humain ?

AJ : De manière générale, il faut faire extrêmement attention aux outils qui assurent (soi-disant) un choix optimal, comme la sélection de CVs. Oui l’IA, qui intervient dans déjà beaucoup de domaines, interviendra dans de plus en plus de domaines, et c’est une bonne chose tant qu’on maîtrise les tenants et les aboutissants (même un minimum) des modèles et de leurs usages. Un recruteur ne peut pas utiliser de tels outils sans en comprendre même dans les grandes lignes leur fonctionnement. Sans une compréhension et un positionnement éclairé de la part des utilisateurs (comme le recruteur), nous risquons par de mauvais choix de biaiser la société, pire, de reproduire des anciennes statistiques aujourd’hui superflues voire discriminatoires.

Un usage responsable et éthique de l’IA permettra au contraire de recentrer les choses autour de l’humain, de mettre en exergue et en valeur ses compétences et ses atouts qu’aucun algorithme ne pourra reproduire dans la complexité et l’abstraction pourtant bénéfique à la société.

 

Q : Tu as créé ta société In Silico Veritas, peux-tu nous présenter son activité et son but ?

AJ : In Silico Veritas est une société de conseil et de développement algorithmique qui aide les entreprises dans leur transformation analytique et algorithmique. Je travaille beaucoup en collaboration avec d’autres  ingénieurs et scientifiques. Pour les missions particulières que j’approche, je ne crois pas au modèle d’agence de conseil traditionnelle mais bien plus à la collaboration de talents dispersés dans le monde pour approcher un problème spécifique, souvent complexe, de manière efficace et pertinente.

 

Q : Selon une étude publiée par Dell et l’Institut pour le futur, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore. Est-ce que cette révolution peut être comparée avec l’émergence d’internet dans nos vies personnelles et professionnelles il y a quelques décennies ? Quels conseils pourrais-tu donner aux personnes craintives face à ces changements ?

AJ : Je ne sais pas trop. Ce que je sais est que l’école (de la maternelle jusqu’au lycée) ainsi que les institutions d’études supérieures (écoles, universités) ne doivent pas former à un métier mais doivent former les individus à réfléchir et à apprendre. Les formations professionnalisantes quant à elles vont être de plus en plus importantes en soulignant l’apport de l’humain et de son geste dans de nombreuses tâches. De manière similaire, ces formations vont se transformer de plus en plus en incluant les nouvelles technologies, et le développement d’un esprit critique et la capacité d’apprendre à apprendre.

 

Q : Tu as apprivoisé de nombreux secteurs différents dans ta carrière, de l’enseignement à la finance, en passant par la médecine et peut-être bientôt l’agriculture. Quels conseils donnerais-tu aux candidats qui n’osent pas sortir de leur zone d’expertise lors d’une candidature à une offre d’emploi ?

AJ : Mon plus grand conseil professionnel dans mon domaine (les sciences numériques) est de développer cette capacité à naviguer d’une discipline applicative à l’autre. Je ne sais pas dans quoi j’appliquerai mes modèles dans 5 ans et c’est une bonne nouvelle!

 

Q : Que dirais-tu à une entreprise qui hésite à recruter un ou une docteur.e ?

AJ : “Alors que le docteur est chassé aux États-Unis pour sa capacité à voir plus grand et à résoudre des problèmes plus larges dans des domaines divers et variés, il est embauché en France pour son expertise, soulignée précisément par l’intitulé de son manuscrit de thèse. Une vision déformée de ses capacités qui nous empêche d’exploiter ses talents, pourtant si nombreux et si riches ! On ne le dira jamais assez, dans l’écrasante majorité des cas, le docteur a un cerveau bien fait dans un esprit ouvert et souple, qui lui confère un regard unique qui perturbe l’avis général pour mieux innover au sein d’un organisme. Pour résumer, embauchez un docteur, vous ne le regretterez pas !” extrait de mon article Et si on tombait enfin sous le charme de nos docteurs ? dans le magazine Le Point, le 15/02/2019.

 

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Crédit photo : Geraldine Aresteanu